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Description
[FR]
Il y a bien longtemps, dans une province lointaine, vivait un bel et preux chevalier du nom de Thibault de Val-D'Argent. Ce chevalier était le fils d'Adalbert de Val-D'Argent, monarque bon et courtois qui régnait avec grande justesse sur un vaste domaine. Mais si Adalbert était un roi apprécié des populaces, il n'en était rien pour sa jeune géniture. Certes, Thibault savait se montrer fort hardi lorsqu'il s'agissait de guerroyer ; épée à la main, il estrillait sans vergogne les vils détrousseurs qui arpentaient les sentiers sylvestres, et moult ménestrels chantaient ses exploits dans les campagnes. Mais il était aussi un jouvenceau vaniteux, peu impliqué dans les affaires du royaume, qui ne se préoccupait guère des misères de la populace et préférait passer son temps à organiser de coûteux tournois, à ripailler dans de fastes banquets avec maintes vinasses gouleyantes, et à trousser les jouvencelles incapables de résister à son regard de braise. Habitué aux raffinements et à l'opulence que lui offrait la vie dans son riant castel, il n'avait cure des simples serfs qui contribuaient à la bonne marche du domaine et le roi Adalbert lui-même se désespérait de devoir un jour léguer sa couronne à un fillot aussi inconséquent.
Or, il arriva qu'un jour, de retour d'un tournoi dans un comté voisin, Thibault se fourvoya sur les sentiers et se retrouva égaré dans la forêt de Mornesylve. Moult sombres légendes circulaient au sujet de cet endroit... dans les campagnes, le soir, à la lueur de l'âtre, de vieux paysans narraient encore, la voix pleine d'effroi, de terrifiantes histoires sur des créatures maudites qui arpentaient ces lieux. Néanmoins, pour Thibault, il ne s'agissait là que de racontars de gueux trouillant pour des broutilles, et c'est donc sans peur aucune qu'il s'avançait sous les sombres frondaisons, à la recherche d'un quelconque sentier pédestre qui éveillerait chez lui quelque réminiscence.
Las ! Au terme de maintes harassantes heures de marche, Thibault n'avait toujours point vu l'ombre d'une route, ni même rencontré un quelconque maroufle de passage qui aurait pu lui indiquer le chemin vers son castel. Mais au détour d'un fourré, il aperçut alors, au centre d'une modeste clairière baignée de soleil, une humble maisonnette couverte de mousses olivâtres. A l'entour de cette chaumière branlante baguenaudait une vieille gueuse défroquée à chapeau pointu, au visage sec et triste comme un jour sans vin, et fort occupée à cueillir des herbasses en marmonnant d'étranges mélopées. Qui donc pouvait vivre ainsi seul au cœur de cette sinistre forêt ? Certes, les racontars de la gueusaille faisaient bien état d'une sorceresse résidant en ces lieux maudits, mais Thibault ne croyait guère en ces balivernes. Au pire, si la dévergoigneuse montrait quelque hostilité, pourrait-il facilement l'étêter d'un coup d'estoc...
« Holà, la gueuse ! Cria Thibault en s'avançant prestement. Je me suis fourvoyé dans cette infernale forêt et j'ai piétiné longtemps avant d'échoir à ton huis. Indique-moi donc la route pour m'en échapper, car j'escompte être rentré à mon castel pour la nuitée. »
La vieille femme tourna vers lui un visage escagacé. « Et qui donc es-tu, susurra-t-elle d'un air sibyllin, pour oser fouler ainsi les herbes de mon clos avec ta rutilante armure, ô indélicat et insolent paladin ? ».
Thibault se renfrogna – jamais encore quelqu'un de la menuaille n'avait osé lui tenir tête de la sorte ! Sans respit, il brandit son épée et agita devant la gueuse son bouclier de tournoi sur lequel figuraient les armoiries de ses ancêtres.
« Qui suis-je ? Éructa-t-il. Lorgne donc mon blason, la ribaude – le goupil de sinople. Je suis Thibault de Val-D'Argent, fils d'Adalbert de Val-D'Argent, souverain de ce royaume, et tu me dois respect et loyauté. Ah ! Tu mériterais moult coups de bâton pour ton insolence. A présent, indique-moi comment sortir de cette maudite forêt, bougresse, si tu ne désires point que je te pourfende sur-le-champ en guise de bonne leçon.»
La vieille gueuse leva alors les bras au ciel. « Par le pourpoint de Lucifer ! Croassa-t-elle. S'il y a quelqu'un ici qui requiert une bonne leçon, point je ne le suis. Toi qui brandis ce blason de goupil avec tant de fierté, tu vas être servi. Thibault de Val-D'Argent, je te créans, tu vas regretter le jour où tu as manqué de respect à la vieille sorceresse Ermentrude. »
La sorceresse marmonna alors d'anciennes incantations et pointa un doigt osseux en direction du chevalier. Un intense halo de lumière enveloppa fugitivement le paladin et, sitôt, Thibault commença à ressentir de fort étranges sensations au plus profond de son corps, comme au lendemain d'une nuitée de ripaille. Chose curieuse, son visage semblait se rapprocher de celui de la vieille gueuse, tandis que son amure aux reflets argentés semblait peser de plus en plus sur lui. Et tôt, l'horrible vérité se fit jour : le charmement de la sorceresse le faisait rajeunir ! Il poussa un criement, qu'il jura plus aigu que tantôt, et constata alors que sa chevelure s'écoulait sur son visage. Rajeunissant davantage, de plus en plus empêtré dans sa lourde cotte, il remarqua alors que son corps se couvrait d'abondante fourrure mordorée, et qu'il devenait également plus féminin, passant lentement de celui d'un accorte damelot à celui d'une faible damoiselle incapable de pourfendre ne serait-ce qu'une poularde. Il cria, invectiva la sorceresse, mais malgré les moult clameurs du chevalier, la métamorphose ne cessait point. Rajeunissant encore et toujours, retournant à l'âge d'un simple escuyer, il se retrouvait de même privé de sa virilité et doté des doulx attributs d'une damoiselle ; il devenait également davantage animal à chaque seconde, son minois de fillotte s'ornant d'un museau de jais et d'oreilles pointues, et une queue de goupil jaillissant violentement de sous sa cotte qui lui devenait plus pénible à porter chaque seconde. Thibault finit par bataculer dans sa lourde armure et, nu, s'extraya de son affublement de guerrier pour contempler son nouveau corps. Il était devenu une jeunette femme goupile, n'ayant guère plus de huit ans, sans muscle aucun, faiblarde et malingre comme une jouvencelle.
« Ventrebleu ! » hoqueta Thibault, tourneboulé, sentant des larmes lui monter aux yeux. Jamais de sa vie ne s'était-il senti aussi vulnérable et impuissant. « Je ne puis rentrer au castel ainsi ! Gémit-il d'une voix flûtée. Je serai la risée de la cour, je puis à peine soulever mon estoc ! Quelle est cette diablerie, bougresse ? »
La sorceresse lui rétorqua avec un grand sourire : « Je te donne la leçon que tu mérites, hardi chevalier – ou plutôt devrais-je dire, ma petiote jouvencelle. A présent, tu m'appartiens, et je ne te délivrerai de cette apparence chétive que lorsque tu auras acquis un noble comportement digne de ton rang. Sous cette forme misérable, tu resteras ici à mon service durant une année – peut-être cela t'apprendra-t-il l'humilité, le respect des basses gens et la vraie valeur de l'effort. Allez, au travail maintenant, petite gourgandine ! Ma chaumière a grand besoin d'un coup de balai. Cours-y prestement, si tu ne veux point que j'inflige une fessade déculottée à ton séant de fainéante ! »
Et c'est ainsi que, à la suite de cette étrange mésaventure, Thibault de Val-D'Argent, autrefois noble et vaillant chevalier, se retrouva au service de la sorcière du bois de Mornesylve. Travaillant de l'aube aux vêpres, vêtu de misérables défroques et dormant sur lit de paillasse, il rêvait du jour où il pourrait à nouveau rentrer à son castel sans crainte des quolibets. Que devint-il par la suite ? Parvint-il à retrouver son apparence au terme de cette année de dur labeur dans l'antre de la sorceresse ? Ceci est une autre histoire qui sera contée une autre fois...
[EN]
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